Le Forum Économique de Toulouse : verbatims et moments forts de l’édition 2023 

Les conditions de réussite d’un écosystème, la souveraineté économique dans un monde ouvert mais fragmenté et la réindustrialisation après 40 ans de désindustrialisation étaient au sommaire du 12e Forum Économique de Toulouse. Organisé par la CCI de Toulouse, l’événement a donné la parole à de nombreux chef-fes d’entreprise de plusieurs secteurs : spatial, santé, biotech, aéronautique, e-commerce, industries culturelles et créatives, sport. Une grande diversité de voix dont voici les principaux verbatims.

Territoire et entreprises : partenaires particuliers

🎤 Les questions :
Comment les entreprises interagissent avec leur environnement, leurs communautés, leurs parties prenantes ? Ont-elles une responsabilité sociale et environnementale envers leur territoire ? Qu’y a-t-il de déterminant dans le lien entre entreprises et territoire ? Et d’ailleurs est-ce le territoire qui compte ou la vitalité de l’écosystème ? Qu’est-ce qui compte, les racines ou les ailes (pour reprendre un titre connu) ?

🎤 Les réponses :

• Carole Garcia, présidente fondatrice du Laboratoire Graine de Pastel, créé il y a 20 ans et qui, à partir de quatre brevets déposés, propose des soins dermatologiques et bio premium

« Notre lien avec Toulouse est très fort. C’est ici, il y a 20 ans, que nous avons eu l’idée de valoriser une plante locale, le pastel. Nous avons déposé quatre brevets issus de l’extraction végétale. 80 000 soins visage et corps sont produits à Toulouse chaque année. Il y a quelques mois nous avons acheté 60 hectares de terre bio dans le Gers, ce qui nous permet de garantir notre souveraineté d’entreprise et de mieux maîtriser la filière. Même si l’essentiel est la qualité de nos soins, l’ancrage local est fondamental; c’est une forme de militantisme qui me permet de dire que l’on travaille tout en circuit court à une heure de Toulouse. C’est important d’être entouré par des fournisseurs, des sous-traitants ou des partenaires locaux. Nos équipes respectives se connaissent parfois depuis plus de 20 ans, c’est un lien humain irremplaçable. Donc on garde l’accent toulousain même si notre marché n’est pas local mais national et international, avec entre 10 % et 20% du chiffre d’affaires à l’export notamment en Asie, à Taïwan, en Chine et au Japon. »

• Olivier Jaubert, directeur général du Toulouse Football Club, racheté en 2020 par  RedBird, une société de gestion de placements américaine investissant dans le sport et également propriétaire du Milan AC depuis 2022

« Pourquoi le choix de Toulouse ? À l’époque où RedBird cherchait à investir en Europe, il a étudié 70 clubs en Europe avec quatre grands critères : l’équilibre financier et la bonne gestion, la qualité du centre de formation, la densité démographique / le potentiel en termes de public et enfin le dynamisme économique. Le choix s’est très vite porté sur Toulouse, très dynamique d’un point de vue commercial, aujourd’hui quatrième métropole de France et bientôt troisième. Notre objectif est de construire une identité forte autour du club et de construire des partenariats avec des entreprises locales, nationales et peut-être internationales un jour. Il est clair que le sport professionnel est un outil d’attractivité pour une ville et pour une région. Le TFC aimerait devenir l’exploitant du Stadium avec l’objectif de passer d’une capacité de 1200 places à 3000. Sur la question du transport, on nous fait le reproche de transporter notre équipe professionnelle par avion. Aujourd’hui au regard de toutes les contraintes d’agenda et de transport, on ne peut pas voyager en bus ou en train. Par contre si on a la LGV, on sera ravi. »

• Jean-François Tosti, cofondateur et cogérant de TAT Productions, le studio toulousain spécialisé dans le cinéma d’animation et connu pour “Les As de la jungle” ainsi que pour le contrat avec Netflix pour la série « Astérix » réalisée par Alain Chabat.

« Nous avons réussi à montrer qu’on pouvait faire tout depuis Toulouse. Nous avons toujours signé avec les meilleurs au niveau national ou international tout en développant des partenariats avec des entreprises locales comme Ludilabel, le Muséum d’histoire naturelle de Toulouse, le Musée Saint-Raymond, Buccotherm ou le TFC avec par exemple l’organisation cet été de l’avant-première des « As de la jungle 2 » au Stadium. Aujourd’hui, l’entreprise est en fort croissance et nous cherchons de nouveaux locaux de 4000 m2 :  nous sommes 250, bientôt nous serons 350. Avec plusieurs projets de films d’animation dont « Falcon Express » (des animaux domestiques pris au piège d’un train fou) ou « Love Birds » (une comédie romantique entre deux oiseaux), nous allons doubler nos moyens de production. 30 % des 9 millions d’euros que nous investirons au cours des cinq prochaines années seront financés grâce au plan France 2030 et à l’appel à projets ‘La Grande Fabrique de l’image’ dont TAT a été lauréat au printemps dernier. »

• Emmanuelle Meric directrice générale de Loft Orbital, la startup franco-américaine du newspace qui prévoit de mettre en orbite deux constellations de dix satellites d’ici à 2025 et qui a fait le choix de Toulouse pour établir son bureau européen.

« Loft Orbital a été fondée en 2017 dans la Silicon Valley, au plus près des gens de la tech. Quand en 2019 on s’est posé la question de l’ouverture d’un centre européen nous avons mûrement réfléchi car l’Europe regorge de « capitales du spatial » que ce soit en Allemagne ou aux Pays-Bas où est implantée l’Agence Spatiale Européenne (ESA). Mais Toulouse a des atouts absolument considérables et c’est ce qui a fait penché la balance. C’est l’un des principaux hub aérospatiaux avec Airbus Defence and Space, Thales Alenia Space, le CNES, les instituts de recherche et  d’enseignement supérieur ainsi qu’un vaste tissu de PME et de startups. C’est tout un écosystème qui donne un accès privilégié à un bassin de ressources hautement qualifiées. Par ailleurs Toulouse a une longue histoire de soutien et de promotion de l’innovation spatiale et notre installation à Toulouse a été renforcée par les  soutiens financiers privés et publics, la Région Occitanie et l’Agence d’Attractivité de Toulouse Métropole. Aujourd’hui le bureau Loft Orbital de Toulouse est celui qui a la plus forte expansion. »

• Samuel Capus, directeur associé de Bleu Citron Productions, organisateur du  Rose Festival qui a rassemblée 90 000 personnes lors de l’édition 2023.

« On a toute une équipe qui a permis que “Rose Festival” fasse partie de la vie des Toulousains et des Occitans. On implique aussi beaucoup d’acteurs du territoire : 74 entreprises, 600 bénévoles, 700 techniciens. Sans l’implication immédiate et directe de la métropole de Toulouse et de la région Occitanie, nous n’y serons pas arrivés. Nous avons aussi 18 mécènes. Tout cela fait qu’aujourd’hui, nous sommes le premier tremplin artistique. Nous avons reçu plus de 600 candidatures, c’est plus que le Printemps de Bourges !  Pour moi, “Rose Festival” c’est la réalisation d’un rêve : un festival d’ampleur nationale et très lié au local. »

• Guillaume Martin, cofondateur et PDG de Pictarine dont 100 % du chiffre d’affaires est réalisé aux Etats-Unis et 100 % de l’équipe installée à Labège

« Pendant longtemps, j’ai joué à être le parfait entrepreneur de startup dans le sillage de la fameuse startup nation. Je voulais créer un produit incroyable pour changer le monde. Jusqu’au jour où j’ai pitché le produit dans une salle remplie d’investisseurs. Ils ont voulu mettre de l’argent. C’est ce qu’on voulait : le Graal. Mais j’ai su précisément à ce moment-là, viscéralement, qu’il y avait un truc qui clochait. Je ne pouvais pas prendre cet argent. J’ai su que je voulais être un entrepreneur indépendant et maître de son destin. Ce jour-là est important car c’est celui où l’histoire singulière de Pictarine a commencé. Mes décisions ont cessé d’être celles que le système attend. Et c’est comme cela qu’en rentrant des US, je me suis pas installé à Paris comme toutes les startup BtoC, je me suis installé ici, à Toulouse. Aujourd’hui 100% de notre chiffre d’affaires est aux USA et  100% des gens qui travaillent chez Pictarine sont à Labège. Parce que j’ai envie de créer des emplois en France et d’aider l’écosystème Toulousain. Mais surtout, c’est qu’avant de me sentir américain, je me sens toulousain. »

• Craig Johnstone, président d’Evotec France qui a obtenu un prêt de 150 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement dont une partie financera la construction d’une usine de bioproduction de 12 000 m² sur du Campus Curie situé au sein du Campus Santé du Futur à côté de l’Oncopole

« Avec l’objectif de s’attaquer aux causes d’une maladie plutôt qu’à ses seuls symptômes, Evotec  emploie plus de 5000 personnes dans le monde, dont 1000 en France pour l’essentiel à Toulouse. Il faut savoir qu’il y avait pour nous une adéquation parfaite au moment de décider de s’installer à Toulouse parce qu’il y a vraiment un creuset de talents et que le système éducatif y est très  performant. On y voyait une opportunité de réintroduire la biotechnologie en France et aujourd’hui de « ré-énergiser » la souveraineté sanitaire.

Avec ce qui nous est arrivé au cours des dernières années, à savoir la crise Covid, on s’est rendu compte à quel point il était important de pouvoir fabriquer sur notre territoire. Et c’est cette idée de production locale et nationale qui est pour moi une opportunité à saisir. Nous devons pouvoir anticiper et ne pas simplement nous retrouver dans une position de “réaction”. Dans le cadre de France 2030, le gouvernement a lancé une stratégie d’accélération pour les biothérapies et la bioproduction de thérapies innovantes et il nous faut véritablement créer un lien entre l’industrie, les pouvoirs publics et l’État, pour garantir une souveraineté sanitaire. »

Marc Lemonnier cofondateur et PDG d’Antabio, société biopharmaceutique basée à Labège qui a démarré en 2023 ses essais cliniques pour ses premiers candidats médicaments et est à la tête d’Arpege, un consortium pluridisciplinaire sur l’antibiorésistance

« La crise du Covid a mis en lumière la dépendance de l’Europe. Près de 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’UE proviennent de pays tiers et 80 % des fabricants de substances pharmaceutiques actives sont basés hors de l’UE. C’était 20 % il y a 30 ans. Donc on a un problème. Je salue le renforcement des compétences de l’Agence Européenne du Médicament (EMA) ou la création de l’autorité européenne de préparation et réaction aux urgences sanitaires (HERA) mais j’insiste sur la nécessité d’innover, condition de la souveraineté et de l’indépendance. Or 80% des nouveaux antibiotiques en développement préclinique ou clinique sont portés par des PME et celles-ci sont des animaux agiles qui ont des besoins spécifiques. Il ne faut pas les mettre en cage. Les initiatives en faveur de la souveraineté sanitaire doivent donc inclure ce concept de flexibilité dans le choix des partenaires scientifiques, industriels, financiers, commerciaux. J’appelle de mes vœux la création à Toulouse d’une sorte de « Healthbus ». De même qu’il y a eu dans le passé une logique industrielle stratégique pour répondre aux défis de l’aéronautique et l’aérospatiale, il faut une logique stratégique industrielle en matière de biosécurité et de santé.  »

• Jean-Pierre Delord, directeur général de l’Institut Universitaire du Cancer de Toulouse (IUCT Oncopole)

« Les nouveaux médicaments sont extrêmement technologiques et nécessitent un décloisonnement entre les spécialités. Le professeur qui invente tout seul dans son coin, c’est fini. Aujourd’hui, pour proposer aux patients par exemple un vaccin individualisé contre le cancer, il faut à la fois travailler avec Transgene, société de biotechnologie, mais aussi avec des entreprises spécialistes des réseaux et de l’intelligence artificielle ; il faut faire appel à l’interaction des disciplines pour la recherche et au décloisonnement entre les spécialités pour faire progresser nos capacités à mieux diagnostiquer et à mieux soigner. Par ailleurs, nous devons développer la notoriété de l’Oncopole, pour être dans la compétition internationale et capter des fonds destinés a à la recherche. Cela permettra de consolider la souveraineté de la France en R&D et d’attirer des talents et des compétences. 

Nos recrutements sont un peu à l’image de ceux d’un grand club sportif : un tiers de jeunes issus de notre écosystème, un tiers de recrutements nationaux et un tiers  de recrutements internationaux.  »

• Silvia Ferrari, directrice adjointe de l’Agence d’Attractivité de Toulouse Métropole

« L’essentiel pour pouvoir capter des projets d’implantation d’entreprises c’est d’abord d’être au bon endroit au bon moment et de pouvoir proposer aux entreprises les bons partenaires et les bonnes conditions. Je pense par exemple à Sêmeia, une entreprise parisienne qui propose une solution de télésuivi des patients à travers l’analyse de données et l’intelligence artificielle. Nous avons appris qu’elle cherchait à localiser son centre de recherche et qu’elle avait plutôt en tête Bordeaux. Nous avons alors déployé tous nos arguments, notamment la présence Aniti et de l’excellence des mathématiques à Toulouse ainsi que la qualité de la vie. Aujourd’hui, le centre est installé à Toulouse et c’est une belle réussite. Dans le domaine du newspace nous avons aussi de plus en plus de projets industriels et plus uniquement des projets d’ingénierie ou de R&D. Je pense notamment à E-Space qui veut créer une usine de 20.000 m2 ou encore U- Space qui veut construire à Toulouse une usine de 1000 m2 sur le marché des nanosatellites. »

Victor Gajan, cofondateur de BigHappy dont l’objectif est de faire pivoter les organisations grâce à l’intelligence des données

« Nous avons réalisé une enquête dont la spécificité est de ‘faire parler les données » à partir des requêtes réalisées en ligne. Nous avons passé en revue les recherches formulées sur Internet par les dirigeants et dirigeants d’entreprise déjà installés ou en projet d’installation en Haute-Garonne, afin de mieux comprendre leurs besoins, leurs attentes et leurs priorités. Près de 20% des recherches sur le développement des entreprises concerne la finance et la fiscalité. Plus de 7000 recherches par mois concernent le foncier et plus particulièrement la prospection du local commercial idéal. Enfin, les dirigeants cherchent à attirer et à former les meilleurs talents pour contribuer au développement et à la pérennisation de leur activité. »

Souveraineté, réindustrialisation et attractivité  : Les défis de la nouvelle économie

🎤 Les questions :

Comment limiter les conséquences de l’inflation et garantir la souveraineté alimentaire ? Quels seront les futurs modèles de consommation et de production ? Est-ce la fin de la société de consommation ? Quelle seront l’influence des circuits courts et le rôle des territoires dans la transition écologique ? Comment réindustrialiser et pour quel projet de société ? Quels investissements pour quelles innovations ? Comment financer les transitions notamment liées au climat ?

🎤 Les réponses :

• Dominique Schelcher, PDG de Système U et auteur du livre « Le bonheur est dans le près » (Archipel)

« Nous sommes à la fin d’un cycle, à la fin de ce que l’on a longtemps appelé la société de consommation. Des premiers signes de déconsommation étaient déjà perceptibles avant la crise du Covid. Ce phénomène s’accélère d’abord parce que l’inflation alimentaire atteint 20% en 2 ans mais aussi parce qu’il y a un vieillissement de la population française ainsi qu’une vraie prise de conscience autour des questions de changement climatique, de changements de modèle et de sobriété.

De plus, on entre dans un monde de rareté. Avant le Covid, le taux de rupture des produits en magasin était de 2%. On est montés à 10% et on n’arrive pas à réduire ce chiffre avec par exemple en ce moment beaucoup de tension sur le jus d’orange. Tout cela indique que nous avons commencé à basculer vers une économie en grande évolution.  Je pense que pour faire bouger les lignes et pour faire comprendre la nécessité de réduire l’impact carbone des produits que nous vendons, il y a une nécessaire prise de conscience du coût environnemental des produits. Il existe un prix de base, le prix que l’on connaît tous et toutes et ensuite il y a un prix de l’impact qu’a le produit par son transport, par son mode de production, par le fait que dans la recette il y a éventuellement des produits qui viennent de l’autre bout du monde. Actuellement, je rêve que chez Système U on affiche le vrai prix des choses, c’est-à-dire celui qui tient compte du coût environnemental et donc bien plus élevé que celui qui est affiché. »

• Jérôme Servières, directeur général de YéO frais, le dernier fabricant majeur de produits laitiers frais dans le Sud-Ouest

« Nous vivons une période paradoxale. En raison du contexte inflationniste, le marché est très favorable aux produits en marque de distributeur (MDD) que YéO frais produits. Mais dans le même temps nous devons faire face à plusieurs problématiques : l’inflation qui touche de plein fouet le bio, un marché en croissance pendant 20 ans mais qui s’est totalement retourné ; la déprise laitière liée au réchauffement climatique avec une baisse de 6 à  7% de production laitière chaque année et enfin les difficultés de recrutement à tous les niveaux : conducteurs de machines,  techniciens de maintenance, cadres, etc. Tout cela fait que nous manquons de visibilité avec pour conséquence une plus grande difficulté à innover. Aujourd’hui, notre vrai capital ce sont les femmes et les hommes de l’entreprise qui sont extrêmement engagés et  motivés pour trouver des solutions pour l’avenir. Quand on accepte de voir que ce qui marchait avant ne fonctionne plus, on arrive à trouver des solutions. Donc je suis plutôt confiant. »

Ninna Granucci, cofondatrice et présidente de Green Spot Technologies, jeune entreprise innovante du secteur de la foodtech, créée en Nouvelle-Zélande en 2016 puis implantée en France depuis 2018

« L’entreprise conçoit des poudres nutritives et fonctionnelles à partir de la fermentation de fruits, de légumes ou céréales qui sinon seraient gaspillés. Ces ingrédients sont à destination des industries agroalimentaires pour améliorer l’apport nutritionnel et organoleptique des produits en rayon. L’ambition est d’optimiser les ressources. Il s’agit à la fois d’une innovation destinée à enrichir l’alimentation et à lutter contre le gaspillage. En matière d’alimentation comme dans beaucoup d’autres domaines, il faut que les choses changent et s’inscrivent dans la durabilité. Beaucoup belles choses sont en train de se passer dans notre secteur. De notre côté, nous sommes en période de levée de fonds afin d’augmenter notre capacité de production et de pouvoir recruter. »

Anaïs Voy-Gillis, docteure en géographie et chercheuse associée au sein du CEREGE (Université de Poitiers – IAE de Poitiers)

« Les question liées à la réindustrialisation reviennent en force depuis quelques années et avec la guerre en Ukraine, réindustrialiser est devenu le nouvel impératif. L’industrie manufacturière représente en France 10,4% du PIB contre 20% en Allemagne et 16% en moyenne dans l’Union européenne. Le poids de l’industrie dans notre économie est l’équivalent de celui de la Grèce.

Depuis 2017, on recrée de l’emploi dans l’industrie, y compris dans des secteurs qui ont été emblématiques de la désindustrialisation, comme le secteur du textile et de l’habillement. Il y a une dynamique, c’est un fait, mais on a besoin d’une mobilisation de tout le monde pour réinvestir dans nos unités de production : pas seulement les acteurs publics et les chef-fes d’entreprise mais toute la société afin de résoudre les problèmes d’attractivité et d’acceptabilité de l’industrie. Pour cela, l’industrie d’aujourd’hui doit se construire dans une perspective de décarbonation : préservation de la biodiversité, réduction des pollutions, notamment celles des microplastiques.

Enfin il n’y aura pas de réindustrialisation pérenne sans coopération. Par exemple des PME qui ont des problématiques communes de recrutement pourraient mener des opérations communes et réfléchir à des modèles de partage de salariés sur des fonctions support ou sur certaines fonctions techniques. J’ai vu des usines qui étaient l’une en face de l’autre, qui ne se connaissaient pas et qui ne parlaient pas ensemble alors qu’elles avaient exactement les mêmes problèmes. La coopération et le travail en écosystème, c’est un enjeu majeur.

Mais la désindustrialisation, c’est avant tout une histoire d’acteurs qui, à un moment, n’ont pas joué le jeu du territoire. Quand un grand donneur d’ordre fait le choix de rester en France et de privilégier son tissu productif, c’est toute l’économie locale qui en profite. Donc la réindustrialisation, elle n’est pas gagnée, elle va être complexe, longue et coûteuse. Mais elle est l’assurance de nous donner les moyens de répondre aux défis du 21e siècle et d’assurer la soutenabilité de notre modèle. »

• Alain De Zotti, responsable du Centre d’Architecture et d’Intégration d’Airbus

« À quoi ressemblera l’aviation en 2050 ? Les avions continueront à être opérés par des humains pour des humains et ils continueront à permettre aux voyageurs de voyager. La grande différence c’est que le système mondial aéronautique sera ‘net zéro’ avec un impact minimal sur le climat et compatible avec les accords de Paris. Le secteur s’y est engagé dans son ensemble.

Alors comment on arrive à décarboner ? On a deux grands axes : L’efficacité énergétique et la nécessité de  mettre sur le marché des machines avec une consommation énergétique la plus faible possible. Le deuxième axe concerne le carburant avec deux solutions : les SAF ou carburants d’aviation durable et l’hydrogène. Avec les SAF fabriqués à partir de déchets, on n’émet pas de carbone supplémentaire dans l’atmosphère, c’est une opportunité stratégique pour la région puisque l’on peut créer de la valeur localement. La deuxième option c’est l’hydrogène sur lequel  nous avons un plan de recherche techno très ambitieux. Mes collègues de Safran ont une jolie expression : ils disent qu’il faut faire deux générations en une parce que le temps presse. »

• Olivier Lesbre, directeur général d’ISAE-SUPAERO

« Avec l’aéro-bashing, on a pu craindre que les jeunes désertent nos écoles mais ce n’est pas du tout le cas. Ils veulent au contraire participer aux grandes transformations en cours et c’est  particulièrement enthousiasmant pour eux.

L’enjeu est de former les étudiant-es à des technologies qui évoluent en permanence et qui devront s’adapter à un contexte qui ne sera pas le même dans 10 ou 20 ans. Il ne s’agit pas seulement d’accumuler des compétences et des connaissances, il faut être capable d’apprendre à apprendre, d’innover et de transformer le monde. Par ailleurs, Isae-Supaero est à l’origine de la création de l’ISA, Institute for Sustainable Aviation. Cet institut de recherche interdisciplinaire dont l’objectif est aborder la question de l’avion durable sous un angle pas seulement scientifique ou technologique mais aussi avec des économistes, des juristes, des climatologues, etc. Cette initiative n’a pas d’équivalent dans le monde aujourd’hui. »

• Florence Robin, co-fondatrice et présidente de Limatech, startup industrielle qui développe des batteries innovantes pour l’aéronautique

« Nous travaillons sur la décarbonation de l’aviation en trois  étapes. Tout d’abord le marché actuel avec le remplacement des batteries lourdes et toxiques au plomb et au nickel-cadmium par des batteries au lithium fer phosphate non toxiques, trois fois plus légères avec une durée de vie de deux fois et demi plus importante. La deuxième étape va nous conduire vers l’hybridation et l’électrification des aéronefs. De nombreuses solutions sont en train d’émerger, on sait pas encore lesquelles vont être adoptées et quel sera le standard, mais notre rôle c’est d’être prêts pour le jour J, le jour où les avions seront prêts pour ces batteries. La troisième étape est plus lointaine, ce sera le moment du zéro émission, on ne sait pas encore si ce sera grâce à l’hydrogène. Mais, dans tous les cas et à toutes les étapes, il y aura besoin de batterie basse tension. »

• Christophe Turpin, directeur de recherche CNRS et porteur du projet Technocampus Hydrogène

« Le Technocampus H2 sera le plus grand centre européen de recherche, d’essai et d’innovation technologique dédié à l’hydrogène vert, produit sans recours aux énergies fossiles. Installé sur la plateforme aéroportuaire de Francazal, au sud-ouest de Toulouse, il n’est  pas uniquement dédié à l’aéronautique. Tout ce qui peut s’électrifier ou qui peut se décarboner en brûlant de l’hydrogène va y être étudié. L’état d’esprit du projet fait vraiment écho à tout ce que j’ai entendu ce matin : l’union fait la force. Le Technocampus est un outil de la force publique qui investit massivement au service du développement industriel et de la recherche. Nous prévoyons une mise en service progressive des laboratoires et bancs d’essais en 2026 pour les industriels qui viendront y tester leurs prototypes jusqu’à un mégawatt.

Nous sommes dans une course de vitesse car je constate à quel point les Chinois sont en train d’investir massivement sur l’hydrogène. Cela me conforte dans l’idée que tous les acteurs ont intérêt à s’unir et à mettre leurs moyens en commun. »

• Patrice Vassal, directeur général de l’Agence d’Attractivité de Toulouse Métropole

« Toulouse est aujourd’hui une capitale de de rang européen. Notre responsabilité est de créer les conditions du succès pour les entreprises dans nos filières d’excellence La ville a la chance d’être en constante expansion et surtout dans une dynamique très volontariste d’un point de vue économique. Nous bénéficions du fameux triangle d’or : la formation académique, recherche et les entreprises. Cela constitue l’identité et la force de Toulouse. Quand j’entends Anaïs Voy-Gillis j’ajoute un atout : la coopération entre les entreprises. »

• Patrick Piedrafita, président de la CCI Toulouse Haute-Garonne

« Il est important que la CCI de Toulouse soit une chambre de commerce d’actions. Si je dois retenir quatre axes d’action, c’est d’abord capitaliser sur nos forces (l’agroalimentaire, le tourisme, l’aéronautique, le spatial, le médical, la tech), travailler sur nos faiblesses en l’occurrence la nécessité de voir Toulouse à 3h de train de Paris, coopérer avec l’international et réindustrialiser. J’ai entendu la proposition de constituer un Healtbus, bonne idée ! On a longtemps pensé qu’en gardant les cerveaux on allait garder le savoir-faire, en réalité il faut les cerveaux mais il faut aussi toute la chaîne de valeur. »

Google, de l’international à l’ultra local

Les questions :

Que retenir des 25 ans de Google ? Comment se positionne le géant international vis-à-vis des territoires et des entreprises locales ? Google a-t-il besoin de l’écosystème français de l’innovation  et des startups ? Comment Google fait face à la politique de régulation européenne des géants du numérique ?

Les réponses :

Benoit Tabaka secrétaire général de Google France, interviewé par Sandrine Jullien-Rouquié, CEO de Ludilabel et présidente de La French Tech Toulouse

« Quand on regarde dans le rétroviseur on voit à quel point Google a transformé les usages de tout un chacun avec Youtube, Google Translate, Google Maps, Waze, etc. Il y a eu aussi beaucoup d’innovations qui ont échoué et qui sont d’ailleurs regroupé sur le site Killed by Google ! C’est important de le dire pour les les entrepreneur-es qui sont dans la salle.

Aujourd’hui 1400 personnes travaillent pour Google en France dont 300 chercheurs ingénieurs. Mais cela ne suffit pas pour innover et Google a besoin des startups. En 2022, à travers les  réseaux de la  French Tech, nous en avons accompagné 400 startups et nous travaillons avec 70% des fameuses licornes françaises pour précisément les aider à grandir vers l’international. Aujourd’hui l’actualité de Google France c’est aussi de se mettre en conformité avec les réglements européens : le DMA (Digital Markets Act) et le DSA (Digital Services Act). Nous avons une date butoir : mars 2024, nous serons prêts. »

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