Au F-Forum qui se tenait le 6 juillet à La Cité à Toulouse, une cheffe d’entreprise a dit, au détour d’une phrase, que jamais on ne posait à un dirigeant d’entreprise la question du lien entre le fait d’être un homme et le fait d’entreprendre ou de diriger une entreprise. C’est vrai ; on a même toutes un peu ri nerveusement en s’imaginant la scène ! Pourtant je fais le pari que ça arrivera. La force du féminisme, l’allongement progressif du congé paternité, les actions des entreprises et la nécessité de lutter contre les effets affligeants du sexisme vont faire qu’un jour il n’ira plus de soi qu’en tant que cheffe d’entreprise on soit quasiment obligée de faire comme si on n’avait pas de vie privée ou familiale pour apparaître comme légitime.
Ce jour-là des hommes monteront sur scène et diront ce que cela leur a fait, en tant que dirigeant, de prendre leur congé paternité. Disons que l’événement s’appellera : « Père et dirigeant d’entreprise : comment concilier deux responsabilités majeures ? ». Je m’imagine l’interview :
- Comment cette décision a été commentée dans l’entreprise ?
- Quand vous êtes venu présenter votre bébé à vos équipes pendant votre congé paternité, le regard des hommes de votre entreprise sur la masculinité a-t-il changé ?
Le corps, ce boomerang
Le jeudi 6 juillet le premier F-Forum qui se déroulait à La Cité à Toulouse n’avait pas pour objectif de parler du corps des femmes ou de la parentalité. Il s’agissait de mettre en lumière des femmes dont le parcours peut servir d’inspiration à d’autres ; de participer à des ateliers sur, par exemple, le réseau ou la rémunération. Oui mais voilà, nous sommes encore dans un temps de l’histoire où il n’est pas en réalité possible de décorréler complètement les questions liées au travail des femmes de celles liées à leur vie privée et à leur corps. On a longtemps fait semblant mais ça ne fonctionne plus. Disons que nos corps sont revenus comme en boomerang sur nos féminismes.
Le féminisme des années 80, 90 et même 2000 avait ceci de spécifique (en plus d’être très sous coté voire très mal vu) de mettre en avant l’égalité de droit comme si elle suffisait à tout régler et de faire comme si le reste n’impactait pas nos vies professionnelles et nos carrières : le corps, les règles, les grossesses, les « fausse-couches », les non-désirs d’enfants, le fait d’être lesbienne et d’avoir à le cacher, les IVG, les PMA, les vêtements (trop long, trop court, trop ‘sexy’, pas assez, etc.), notre présence dans la rue ou pas et à quelle heure, les rendez-vous chez les docteurs ou « la maîtresse » pour les enfants, etc… Or tous ces aspects de nos vies ont des effets sur nos possibilités de réaliser la carrière ou la vie que nous voudrions vraiment. Comment croire qu’il n’en auraient pas ? Bien sûr on peut dire (et on peut même sincèrement le croire et l’intérioriser) qu’on peut tout faire comme si on n’avait pas ce corps de femme, cette vie de femme et les stéréotypes qui vont avec.
L’audace ne suffit pas
Combien de femmes ont réalisé leur projets professionnels malgré la nécessité de se sur-adapter (travailler plus, prouver davantage, s’organiser, lutter contre le sentiment d’imposture brillamment ausculté par Alexia Anglade, assumer de vouloir être conquérante plutôt que gentille) et malgré l’obligation de « faire attention » aux harceleurs sexuels (dans la rue, au travail, dans les transports) ? Beaucoup. Toutes ?
Aucune femme quand on lui parle de sa carrière ne pense en premier à tout ce qui l’a pénalisé. On préfère se rappeler, et on a sans doute raison, toutes les actions positives qu’on a menées. Pourtant, quand on pose vraiment la question aux femmes, les témoignages se multiplient de paroles déplacées, gestes inexcusables, violences sexistes et sexuelles. C’était le cas lors de la table ronde « Là où on ne les attendait pas » qui rassemblaient des femmes dirigeantes d’entreprise de tous âges et de secteurs différents. C’était le cas et c’était très touchant.
En clôture de cette journée (merci Julie Landès et Fanny Id Hassi) Nadia Bakiri, conseillère régionale d’Occitanie déléguée à l’égalité femmes – hommes a appelé à être « assoiffées d’égalité ». Elle a aussi indiqué « le coût financier du sexisme, des violences, des comportements sexistes criminels : 82,2 milliards d’euros. » En 2022, la Fondation des femmes, s’appuyant sur la chercheuse Lucile Peytavin avait chiffré à 118 milliards d’euros le coût annuel des inégalités. Des chiffres effarants. Et qui ne mesurent ni le coût moral ni le sentiment d’injustice.