Engagé en faveur d’une agriculture plus adaptée au changement climatique et aux besoins de la société, le Conseil départemental de la Haute-Garonne organisait le 25 janvier 2023 à Toulouse un colloque sur l’agroécologie. Autour de la question « quelle agriculture pour une alimentation locale, de qualité et accessible à tout le monde ? », les scientifiques Marc Dufumier et François Plassard ainsi que les réprésentant-es de la Chambre d’agriculture de la Haute-Garonne, de Bio Ariège Garonne et de l’Adear ont partagé leur analyse. Les principaux verbatim et les éléments clés.
« Radical oui, dogmatique, non »
Avec Marc Dufumier, ingénieur agronome, docteur en géographie et professeur honoraire d’agriculture comparée à AgroParisTech, le ton est tout de suite donné : « Je suis radical, oui, dogmatique, non ».
« Face à l’appauvrissement des sols et aux questions de souveraineté alimentaire, c’est toute notre agriculture qui va devoir évoluer. Pour moi l’agriculture moderne de demain, c’est l’agroécologie. Nous avons perdu 30 ans ou plus mais désormais nous devons nous engager dans une vraie révolution de l’agriculture, une révolution autant scientifique et technique que culturelle et politique.»
« Il faut que tous les rayons du soleil puissent être transformés en énergie alimentaire.»
« Les pratiques agroécologiques (favoriser la fertilité des sols, éviter les engrais de synthèse et réintroduire des légumineuses, etc.) doivent être massifiés, pour assurer la sécurité alimentaire et pour une alimentation de qualité destinée à tout le monde. La bonne alimentation ne doit pas être réservée à une toute petite partie de la population capable de se payer des produits bio tandis que les plus modestes mangent des produits pleins de perturbateurs endocriniens et d’antibiotiques. Mais qu’est-ce qu’on attend maintenant ? Allons-y quoi ! »
«C’est un changement radical de système de production, plus artisanal et plus diversifié; un système qui exige plus de travail et qui doit donc être correctement rémunéré. Si on veut accélérer cette transition agro-écologique, il faut s’en donner les moyens, en rémunérant le travail. On dit aux agriculteurs : « vous contribuez à séquestrer du carbone, vous remettez des légumineuses et du fourrage dans les champs, vous évitez des importations de soja, et des émissions de protoxyde d’azote, vous rendez un service d’intérêt général, eh bien on vous rémunère pour cela. Vous n’êtes plus des mendiants subventionnés en fonction des surfaces, mais vous êtes rémunérés, vous êtes droits dans vos bottes ! Et comme il faut aussi alléger la pénibilité, allons vers la robotisation des tâches les plus dures. »
« Bien sûr ce positionnement nécessite d’aller au-delà de la seule défense de l’emploi à court terme. C’est la défense de l’emploi à long terme et d’une agriculture respectueuse de l’environnement. Je dis aux administrations ; arrêtez de nous faire des calculs tronqués, n’oubliez pas les effets collatéraux, l’écologie, l’alimentation. C’est l’écosystème dans son ensemble qu’il faut regarder. »
« Métamorphoses pour une agriculture de biens communs«
François Plassard, ingénieur agronome, docteur en économie et initiateur des Jardins de Cocagne : « La révolution culturelle dont parle Marc Dufumier c’est aussi celle qu’a théorisé Edgar Morin : c’est la révolution de la pensée complexe, celle qui permet la métamorphose et non pas l’effondrement. Tout au long du 20è siècle, nous sommes passés d’une agriculture vivrière à une agriculture industrielle / pétrolière et aujourd’hui je veux promouvoir une agriculture paysanne, une nouvelle « agriculture de bien commun », relocalisée, plus résiliente et sans intrants issus du fossile, reconnectée à l’énergie du soleil et du vent. »
« Dans l’Aude où le coût foncier, la salinité et l’aridité découragent les installations maraîchères, nous expérimentons la tortue maraichère marine, un potager écologique flottant sur les rivages de la Méditerranée. C’est un système de culture hors sol aquaponique, une sorte de serre écologique, autonome en énergie et économe en eau. Son rendement – en légumes, fruits, fourrage, fleurs ou jeunes pousses- équivaut à celle d’un jardin de 300 m². Profitons d’être le premier pays au monde maritime pour décupler la production aquacole.»
«C’est aussi une démarche intergénérationnelle. Pour une génération qui ne veut pas simplement gagner sa vie, mais lui donner du sens, c’est très mobilisateur. »
Bernard Bagneris, vice-président à l’agriculture durable, circuits courts et à l’agro-alimentation du Conseil Départemental de la Haute-Garonne : «Les agriculteurs et agricultrices du département sont très impactés par les catastrophes climatiques et l’agroécologie est une solution au carrefour de multiples enjeux : environnementaux, sociaux, économiques et éthiques. De notre côté, tout en accompagnant toutes les agricultures sur le département – car il ne faut pas opposer les agricultures mais les fédérer- , nous développons l’agroécologie depuis 2015. Il nous faut aussi repenser la rémunération des agriculteurs car tant qu’on ne rémunérera pas le travail, on ne rémunérera que des investisseur-es. »
Guillaume Darrouy, vice-président de la Chambre d’agriculture de la Haute-Garonne : « Les priorités sont multiples. Elles concernent autant l’installation et la transition que l’économie des exploitations, le prix des intrants et la nécessité de sortir de la culture de la peur. Car aujourd’hui les agriculteurs et les agricultrices sont parfois un peu perdus. Ils ont du mal à faire des choix et manquent de visibilité. Dans ce contexte de transition, il faut les accompagner tout en ayant en tête qu’ils sont les garants de l’alimentation du pays, c’est une question de sécurité publique. Car si on n’est pas capable de sécuriser cette alimentation, on se met en difficulté. »
Christophe Roos-Oberle, administrateur Bio Ariège Garonne : « Bio Ariège Garonne accompagne les collectivités à appliquer les « EGALIM » et les exigences de la loi « Climat et résilience », notamment en les aidant à rédiger leurs appels d’offre. Les demandes d’accompagnement de collectivités qui souhaitent introduire des produits bio locaux dans leurs cantines sont de plus en plus nombreuses. Le grand enjeu est de mettre en relation la production locale et les cantines. Et aussi de disposer de suffisamment de produits bio et/ou locaux. Aujourd’hui en Haute-Garonne les surfaces bio représentent 15,3% de la surface agricole du département et l’Occitanie la première région bio de France. »
Lola Kirchner, co-présidente de l’ADEAR, Associations pour le développement de l’emploi agricole et rural
« Notre objectif est permettre de maintenir et d’installer des paysan-nes nombreux-ses dans la perspective d’une agriculture paysanne, vivrière destinée à une alimentation locale ; celles et ceux que nous accompagnons n’ont clairement pas la perspective d’aller conquérir les marchés internationaux. Il y a aujourd’hui un vrai mouvement de reconversion vers les métiers de l’agriculture mais c’est un chemin complexe. Il faut bien comprendre toutes les étapes d’une installation agricole, les spécificités administratives, les aides et les différents acteurs. Ensuite, il faut apprivoiser les sols. Il me semble très important de faire partie d’un réseau pour discuter, échanger sur les nouvelles pratiques agroécologiques. Sur la question du rendement et de la production, il faut en effet être capable de produire plus sur le territoire et pour cela mieux vaut trois petites fermes qui nourrissent localement (et que les jeunes peuvent acheter) qu’une grande ferme. J’ajoute la question majeure de la retraite car c’est difficile de réussir une installation ou une reconversion sans une meilleure perspective que le minimum retraite. »
Le colloque « Quelle agriculture pour une alimentation locale, de qualité et accessible à tout le monde ? » était organisé par le Conseil départemental de la Haute-Garonne le 25 janvier 2023. Il était animé par Emmanuelle Durand-Rodriguez, journaliste et fondatrice de Telmi Studio.