Agir sur le processus de vieillissement n’est plus de la science-fiction
Entre 2015 et 2050, la proportion de personnes de 60 ans et plus aura quasiment doublé, passant de 12% à 22%. Sur la même période, le nombre de personnes de plus de 80 ans va tripler selon l’ONU. Dans ce contexte inédit, comment la médecine mais aussi l’ensemble de la société, peuvent tirer partie des découvertes de la géroscience ? C’est tout le défi que relève l’IHU HealthAge, créé à l’initiative du Pr Bruno Vellas et composé de 15 équipes de recherche. Pour le Pr Yves Rolland, gériatre au CHU de Toulouse, « La géroscience est une approche nouvelle qui repose sur l’idée que les mécanismes biologiques du vieillissement peuvent être modulés. Au-delà du fait que les années passent, des mécanismes biologiques s’altèrent et conduisent à des dysfonctionnements d’organes puis à des pathologies. Ces mécanismes sont l’objet de nombreux travaux fondamentaux et sont de mieux en mieux connus. La variabilité des dysfonctionnements des mécanismes biologiques du vieillissement d’un individu à l’autre se traduit par l’observation que nous ne vieillissons pas tous au même rythme. Il y a des vieillards à 65 ans et des sujets encore en pleine capacité à 75 ou 80 ans » .
Une vision nouvelle du vieillissement
Le consortium HealthAge porté par le CHU de Toulouse, l’Université Toulouse III – Paul Sabatier et l’Inserm a été labellisé Institut Hospitalo-Universitaire en mai 2023 par Emmanuel Macron dans la cadre du programme France 2030. Fondateur du Gérontopôle de Toulouse, le professeur Bruno Vellas en est à l’initiative. Il rappelle que selon l’OMS, « la définition du bien vieillir a changé : il s’agit de garder ses fonctions (la vue, l’audition, la vitalité, la mobilité, la cognition et la santé mentale) et de continuer à faire ce que l’on a envie de faire sans subir de discriminations, qu’il s’agisse de faire du vélo ou de la politique ! Vivre dans la dépendance est douloureux, c’est un drame humain. Or, nous allons vivre 30% de notre vie après 60 ans. Grâce à la géroscience, agir sur le processus de vieillissement est désormais quelque chose de sérieux ; ce n’est pas de la science fiction ».
C’est la professeure de gériatrie et de recherche sur le vieillissement Heike Bischoff-Ferrari qui a été choisie pour diriger l’IHU toulousain. « HealthAge doit servir de modèle à l’Europe, a-t-elle affirmé. Il a pour mission de renforcer le capital santé et de répondre aux besoins en matière de diagnostic précoce et d’innovation thérapeutique des adultes âgés de 60 ans et plus. Nous voulons tous rester en bonne santé le plus longtemps possible. Or aujourd’hui, si l’espérance de vie est d’environ 80 ans, l’espérance de vie en bonne santé est seulement de 64 ans ».
Une clinique de la longévité à Toulouse
Concrètement, Toulouse va se doter d’une Clinique universitaire de la Longévité en santé, dirigée par le docteur Laurent Balardy. Située à La Cité de la Santé, près de l’Hotel Dieu du CHU de Toulouse, son objectif sera de proposer une offre de soins en adéquation avec les besoins, notamment des jeunes séniors qui revendiquent leur capacité à faire des choix par et pour eux-mêmes. « A ce jour, il n’existe pas de structure dédiée à la prévention du vieillissement en santé. Cette structure de soin est la structure clinique de l’IHU ; elle va se nourrir des fruits de la recherche en géroscience qui identifie des biomarqueurs de pathologies liées à l’âge que l’on pourra ensuite implémenter dans la pratique clinique. Cela permettra une approche holistique, multidisciplinaire et intégrative » promet Laurent Balardy. La clinique peut déjà accueillir ses premiers patients.
Une démarche « science ouverte » qui casse les codes
Autre innovation portée par l’IHU, le partage des données pour faire progresser l’application mondiale des gérosciences. La docteure Nicola Coley, responsable de l’axe Science ouverte de l’IHU promet « un partage sans entrave des résultats, des méthodes, et des produits de la recherche scientifique, accessibles à toute la communauté scientifique mais aussi aux citoyen-nes. Les chercheur-es du monde entier pourront analyser nos données sur notre plateforme, faire leurs études, télécharger leurs résultats. Nous partagerons aussi nos algorithmes ». Un mode de travail collaboratif bien loin des pratiques à l’ancienne.
Dépister le déclin et éviter l’irréversible
Le programme ICOPE (Integrated Care for Older People) lancé en 2019 par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) propose un dépistage du déclin fonctionnel lié à l’âge. Il vise à évaluer le vieillissement fonctionnel des personnes en mesurant six fonctions-clés: mobilité, cognition, vision, audition, nutrition, bien-être psychologique. Si l’une des fonctions présente une faiblesse, les personnels de santé mènent une évaluation plus fine et proposent, avec le consentement du ou de la patiente, des interventions personnalisées. Pour la professeure Sandrine Andrieu, épidémiologiste et responsable de l’équipe Aging-Maintain du Cerpop (Inserm), « dès 45 ans on peut identifier un dysfonctionnement dont un individu n’a pas encore conscience et ainsi agir très en amont, avant que cela ne devienne irréversible. » La France, via les équipes toulousaines, expérimente le programme Icope depuis 2020. « Aujourd’hui, abonde la gériatre et professeure Maria-Eugénia Soto-Martin, plus de 52 000 seniors ont bénéficié d’une évaluation et 5 500 professionnel-les de santé ont été formés en France à Icope, dont 4 200 en Occitanie (2 300 infimier-es, plus de 1000 kinésithérapeutes et plus de 1000 pharmacien-nes). Icope monitor permet de faciliter le recueil des données. Sur les 52 000 seniors suivis actuellement « 22% ont pratiqué l’auto-évaluation », remarque la docteure Neda Tavassoli, coordinatrice de l’équipe régionale, « ce qui signifie que les seniors sont de plus en plus acteurs de leur santé ». Fin 2022, une étude-pilote publiée dans The Lancet Longevity a démontré la pertinence de ce suivi sur ce qui représente la plus grande cohorte européenne. L’IHU analysera aussi, en collaboration avec la Toulouse School of Economics (TSE), l’intérêt socio-économique d’Icope.
Inspire : identifier des biomarqueurs du vieillissement
Cette cohorte Icope s’intègre dans programme de recherche toulousain, Inspire, lancé en 2019 et destiné à comprendre les marqueurs biologiques du vieillissement. Le programme est basé sur l’analyse « en miroir » de cohortes de souris, de poissons et d’humains. Pensé comme une plateforme de recherche translationnelle (« du laboratoire au lit du patient »), le programme associe de nombreux partenaires académiques et institutionnels ainsi que des laboratoires publics et privés : Pierre Fabre (vieillissement cutané), Infinity (maladie infectieuses et inflammatoires), Inserm et l’Université Paul Sabatier (maladie cardiovasculaires et métaboliques), Lilly (oncologie, diabète) ou encore Eisai (neurosciences).
Sophie Guyonnet, docteure en biologie du vieillissement et directrice des programmes d’HealthAge précise : « La cohorte humaine compte plus de 1100 sujets de 20 à 100 ans, que l’on suit pendant au moins 10 ans. La quatrième année de suivi a débuté en 2023. Nous mettons cette cohorte « en miroir » avec les cohortes animales ». A noter que la cohorte de poissons est unique : elle compte 300 nothobranchius furzeri qui constituent un modèle de vieillissement accéléré permettant d’étudier par comparaison le vieillissement humain. « Comprendre la biologie du vieillissement va nous permettre de pouvoir le mesurer et donc définir l’âge biologique et mieux appréhender les pathologies. Nous avons ainsi observé chez la souris âgée, que si on détruit les cellules sénescentes dans le pancréas, elle ne développe plus de diabète lié à l’âge. Cette meilleure compréhension des mécanismes moléculaires et biologiques nous permettra ensuite de développer des médicaments » explique le Pr Bruno Vellas.
Les premières innovations autour de la biologie du vieillissement permettant de mesurer l’âge biologique versus l’âge civil sont donc en cours. Un article a été publié fin 2023 dans Nature Ageing présentant un critère inédit d’évaluation du bien-vieillir : ce score permet de suivre l’évolution de santé des seniors dans l’esprit de la courbe de croissance des enfants. Ces « courbes de capacité intrinsèque sont utiles pour détecter les déclins avant une perte de fonction » précise le Professeur Philipe de Souto Barreto, à l’origine de ces courbes. « Plus bas est le percentile, plus élevée est la probabilité de comorbidité ou de fragilité ».
Le programme Inspire utilise également l’intelligence artificielle, comme l’explique la pharmacienne Laure Rouch : « nous utilisons l’IA pour construire des outils, des horloges multi-omiques afin de prédire l’espérance de vie en bonne santé… Le projet est de fabriquer un test sanguin, qui, combiné à l’IA, permettra de prédire le déclin et donc d’intervenir précocement pour ralentir la perte de fonctions. Nous voulons utiliser le deep learning pour estimer l’âge fonctionnel de chaque organe ».
« Nous travaillons pour la société et il faut passer du pré-clinique au clinique », rappelle Olivier Lairez, vice-président délégué Innovation et Partenariat à l’université Toulouse III – Paul Sabatier : « l’IHU HealthAge a vocation à réaliser un transfert de la science vers la société. Pour cela nous lançons un appel à projets pour favoriser la recherche translationnelle. Doté de 200 000 euros pour 5 à 10 projets, il s’agit d’exploiter les données du projet Inspire. Cet appel à projet est ouvert à l’ensemble des partenaires académiques et est ouvert aux thématiques en liens avec la biologie du vieillissement, l’IA, la gestion des données, l’économie, les sciences humaines et sociales ». Autre exemple d’avancée promise par l’IHU, un biomarqueur sanguin est actuellement en développement pour détecter précocement les personnes à risque de développer une maladie d’Alzheimer.
« Changer le monde »
Pour le professeur Yves Rolland, en charge de la plateforme de recherche clinique en géroscience, « les progrès laissent espérer des possibilités innombrables et vieillir en bonne santé semble tout à fait atteignable ». Il annonce que la plateforme va s’engager, avec le Buck Institute for Research on Aging dans l’appel à projet lancé par la fondation XPRIZE : « c’est un appel à projets très ambitieux, lancé par une fondation qui a pour but de promouvoir les technologies de rupture, qui vont changer le mode de fonctionnement de la société. Le concours est doté de 101 millions d’euros. Le défi est de ralentir le vieillissement de 10 à 20 ans ! C’est très enthousiasmant ».
Sophie Arutunian
Lancement de HealthAge, les déclarations
- « La labellisation IHU est une reconnaissance de l’excellence des équipes toulousaines et de notre capacité à nous fédérer. On le sait, la compétition est mondiale sur la thématique du vieillissement et Toulouse pourra faire rayonner la France dans ce domaine grâce à l’IHU et à la formidable dynamique qu’il génère. » – Jean-François Lefebvre, directeur général du CHU de Toulouse
- « L’Occitanie est la région de France où l’espérance de vie est la plus longue, on ne peut pas s’en satisfaire, il faut que ce soit en bonne santé ! La Région est premier financeur pour ce projet avec 13 millions d’euros investis. La silver économie deviennent une filière à part entière, disposant sur le territoire de l’excellence universitaire et d’un véritable écosystème.» – Carole Delga présidente de la Région Occitanie / Pyrénées-Méditerannée
- « La filière santé représente 25 000 salariés et 730 entreprises en Occitanie. La recherche doit trouver des traductions industrielles et économiques » – Pierre-André Durand, préfet de la Région Occitanie, préfet de la Haute-Garonne
- « Notre devise, « la science pour la santé », s’incarne parfaitement dans HealthAge qui regroupe des expertises diverses avec une approche pluridisciplinaire. Il faut penser « système », jouer collectif, travailler main dans la main. Inventer les solutions de demain sur le diagnostic, la thérapeutique, la prévention.» – Thomas Lombès, directeur général délégué à la stratégie, de l’Inserm
- «L’IHU a notamment vocation à faire de la recherche qui soit rapidement transférable au soin mais aussi à emporter les autres disciplines – sciences humaines et sociales, philosophie, économie…- du site toulousain et la population pour mener une réflexion sur le mieux- vieillir.» – Pr Odile Rauzy, présidente de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier
- « L’excellence du CHU de Toulouse lui confère, depuis plus de 20 ans, une place en haut des classements internationaux. 17% de la population de Toulouse a plus de 60 ans : mieux vaut s’en occuper ! » – Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse et président de Toulouse Métropole
- « Des facteurs d’inégalités sociales existent face au vieillissement, je pense à la précarité et au mal-logement notamment. D’autres facteurs nouveaux sont de véritables défis pour nos sociétés, comme le changement climatique et la pollution qui impactent très fortement les seniors et creusent les inégalités face au vieillissement. Lorsqu’on est senior, on est beaucoup plus vulnérable aux grosses chaleurs et à la canicule. » – Sébastien Vincini, président du Conseil Départemental de la Haute-Garonne
Pour atteindre ses objectifs, l’IHU créé par ailleurs des synergies avec l’écosystème économique et industriel. Il s’est doté d’un Cercle des ambassadeurs, constitué d’Eric Ducournau (Pierre Fabre), Serge de Mariana (Ircem), Dominique Pon (La Poste Santé et Autonomie), Urs Zelner (ancien vice-président d’UBS), Patrick Piedrafita (CCI de la Haute-Garonne), Philippe Robardey (Sogeclair et Irdi), Catherine Pastor, (Ampa), Marie-France Marchand-Baylet, (Fondation La Dépêche du Midi) et Clément Rouxel (Axa).
S.A.
La matinée « IHU HealthAge Géroscience & Prévention » était organisée par l’IHU et le CHU de Toulouse. Les interviews et la matinée d’échanges était menées par Emmanuelle Durand-Rodriguez (Telmi Studio) et Sophie Voinis.