Pourquoi donner la parole à une préhistorienne pour parler de la visibilité des femmes dans les médias ? C’est sans doute la question que se sont d’abord posé les 200 personnes réunies les 6 mars 2023 dans le grand amphithéâtre de La Cité à Toulouse. Réponse : Parce la sous-représentation des femmes s’explique, sociologiquement, historiquement et même préhistoriquement. Tandis que les préjugés sexistes continuent de guider nos actions et de produire ses effets, le Club de la presse Occitanie, a montré, avec ses invité-es, qu’il y a un continuum entre l’(in)visibilité des femmes dans l’histoire, dans les sciences, en politique et dans les médias.
La naissance de la préhistoire conditionnée par la misogynie du 19è
La préhistorienne Marylène Patou-Mathis qui contribue à poser un nouveau regard sur la place des femmes dans la préhistoire a partagé les conclusions de ses recherches réunies dans un de ses livres les plus marquants : « L’homme préhistorique est aussi une femme – Une histoire de l’invisibilité des femmes ». C’est en travaillant sur Néandertal, que la chercheuse en est venue à s’intéresser à la question des femmes de la préhistoire, en constatant des similitudes dans le traitement scientifique de Néandertal et des femmes, deux catégories historiquement considérées comme « inférieures ». Or ses recherches battent en brèche l’image de sociétés du paléolithique où les tâches seraient réparties selon le sexe de la personne et où les femmes auraient un statut inférieur à celui des hommes.
« Il n’y a pas de preuves archéologiques qui viennent conforter ces deux hypothèses, affirme Marylène Pathou-Mathis. Il faut cesser de dire que les hommes ont tout inventé (la taille des outils, la chasse, l’art), et se départir de cette vision ancienne. Plus nos connaissances s’enrichissent, plus il s’avère que le patriarcat n’a aucune assise anthropologique.»
« Il n’y avait pas naturellement d’opposition entre les femmes et les hommes. Les relations entre hommes et femmes étaient plutôt équilibrées et leurs corps étaient d’ailleurs plus semblables. » Mais la préhistorienne explique aussi que la naissance de la préhistoire en tant que science a renforcé les préjugés sexistes : « La préhistoire est une science jeune ; elle date du 19è siècle et a été conditionnée par la misogynie d’un siècle particulièrement désastreux pour l’émancipation des femmes et qui avait la passion de tout classer et de tout hiérarchiser. Les œuvres préhistoriques ont été interprétées à l’aune de nos regards d’humains modernes et occidentaux et donc à l’époque attribués aux hommes. L’utilisation de l’ADN a révolutionné la préhistoire et montré par exemple que des corps robustes n’étaient pas ceux d’hommes mais ceux de femmes. Aujourd’hui, nos travaux ont tendance à montrer que la vie des peuples nomades d’il y a 300 000 mille ans était basée sur la coopération et les compétences de chacun-e, indifféremment de l’âge et du sexe. C’est complètement révolutionnaire. »
« Sexisme sur la voix publique »
Parmi les conséquences du sexisme, le difficile accès des femmes à la légitimité politique, en dehors même de l’accès aux mandats. Selon Nadia Pellefigue, vice-présidente de la région Occitanie, cela se traduit très concrètement sur les réseaux sociaux par exemple : « après un débat contradictoire la discussion ne porte pas sur le contenu de mes propos mais sur ma tenue. Mes contradicteurs ne vont jamais sur le terrain de l’argumentation. Aujourd’hui si je participais à un débat politique avec par exemple un tailleur vert, peu importe ce que je dirais, on ne me parlerait que de mon tailleur vert. Nos adversaires nous ramènent aussi très souvent sur le terrain des émotions. Vous développez un argumentaire politique ‘normal’ et on vous dit : ‘calmez-vous madame’. Jamais on ne dit cela à un homme ! »
C’est ce que la chercheuse Marlène Coulomb-Gully appelle « le délit de physique » dans son livre « Femmes en politique, en finir avec les seconds rôles » (Belin – Laboratoire de l’Égalité) : « Combien de portraits de femmes politiques commencent par leur description physique ? », explique-t-elle.
Dans «Sexisme sur la voix publique – Femmes, éloquence et politique » (Éditions de l’aube), Marlène Coulomb-Gully analyse les prises de parole de femmes politiques des 50 dernières années : « De Simone Veil à Valérie Pécresse en passant par Christiane Taubira ou Edith Cresson, toutes ont subi des remarques empreintes d’un sexisme et d’une violence parfois inouïe ».
Professeure émérite en sciences de la communication à l’Université Toulouse Jean Jaurès – LERASS, Marlène Coulomb-Gully travaille principalement sur la représentation des femmes, à la fois dans les médias et dans le milieu politique. Elle constate : « En politique, ce n’est pas la présence des femmes qui pose problème, ce sont leurs prises de parole, leurs voix. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas avec la voix des femmes : trop aigües, inaudibles, hystériques, trop lentes, trop rapides… et les hommes qui ont des voix dites ‘féminines’ reçoivent les mêmes critiques ! La politique est violente pour tout le monde. Mais les femmes sont toujours ramenées à leur corps : Sandrine Rousseau traitée de Greta Thunberg ménopausée par exemple… Renvoyées à leur apparence et à leur identité privée, on les ramène au fait d’être des femmes avant d’être politiques. Le défi d’entendre des voix multiples et des accents divers est à la hauteur des enjeux démocratiques. »
Dans ce contexte, les médias ont un rôle à jouer, ajoute la chercheuse : « Tout en prétendant n’être que le reflet de la société, les médias participent en réalité à la création de normes et de valeurs. » Or les dernières études du Global Media Monitoring Project (GMMP) coordonnées par Marlène Coulomb-Gully dressent un constat persistant : Les hommes constituent 75 % des experts sollicités dans les médias.
Présentes à l’antenne
Antoine Tabard, secrétaire général de l’Arcom est intervenu pour partager les derniers chiffres sur la représentation des femmes à la télévision et à la radio. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique avait le jour-même rendu publique l’étude 2022 par la voix de son président Roch-Olivier Maistre : « La part de présentatrices, expertes, invitées politiques et autres intervenantes progresse par rapport à 2021, à la radio et à la télévision. La part des femmes présentes à l’antenne progresse également. En revanche, le temps de parole des femmes à l’antenne, mesuré automatiquement par l’INA stagne et les femmes sont moins présentes aux heures de forte audience à la télévision. »
Présente également Florence Panoussian, directrice régionale de l’Agence France-Presse à Toulouse a témoigné de ses actions volontaristes pour la visibilité des femmes tout au long de sa carrière. Elle a contribué, par exemple, à ce que l’AFP écrive, dans ses dépêches, le terme ‘droits humains’ au lieu de ‘droits de l’homme’. » Elle a rappelé les actions menées depuis une dizaine d’années sous l’impulsion de l’ancienne dirigeante de l’AFP Michèle Léridon jusqu’à la création en 2022 d’un nouveau poste chargé de la diversité confié à Jessica Lopez. Cela dit, précise la directrice régionale de l’AFP, il reste deux points d’achoppement sur lesquels l’agence, seule, n’a pas la main : « L’AFP fait du hard news or l’actualité, notamment politique et sportive, est sur-représentée par des hommes. Par ailleurs, nous constatons que les femmes sollicitées en tant qu’expertes refusent souvent répondre à nos questions, soit parce qu’elles estiment que ce n’est pas « tout à fait » leur expertise et nous renvoient vers un homme ; soit parce qu’elles demandent à prendre le temps de préparer leurs réponses. Jamais un homme ne se fait prier pour intervenir ! »
La parole des femmes un enjeu démocratique
Tandis que le Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes a rendu un rapport alarmant sur le sexisme en France, Nadia Pellefigue, vice-présidente de la Région Occitanie en charge des affaires internationales et européennes, de la recherche et l’enseignement supérieur, fait « le lien entre aggravation du sexisme et remise en cause du savoir scientifique. La tendance à la diffusion de thèses complotistes est un phénomène préoccupant. Le backlash que subit le féminisme après de formidables avancées ces 50 dernières années est là pour nous rappeler qu’il ne faut rien lâcher et qu’il est important de faire basculer les hommes dans la prise de conscience qu’il faut soutenir la voix des femmes. » À une des questions posées par le public sur les moyens d’inclure les garçons et les hommes dans la lutte pour l’égalité, Marlène Coulomb-Gully réagit avec cette formule : « Ne nous libérez pas, on s’en charge ! » Tout en regrettant qu’il faille encore « rappeler que le combat féministe n’est pas le combat contre les hommes », elle insiste sur « la nécessite d’éduquer dès le plus jeune âge. L’ABC de l’égalité était un programme formidable et j’espère de tout cœur qu’il on y reviendra. Pour cela il faudrait, au niveau de l’éducation, en termes d’égalité, une véritable ambition politique. »
Laissons la conclusion à la préhistorienne Marylène Patou-Mathis : « Nous sommes à l’aube d’une révolution. Il est temps d’envisager une complémentarité entre les deux sexes et non une domination de l’un par l’autre. Le patriarcat doit être remplacé par un autre système, qui reste à construire ensemble. Il faut faire les choses ensemble, c’est peut-être utopique mais j’y crois. »
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Clarence Rodriguez, aujourd’hui installée à Toulouse, a été pendant 15 ans la seule journaliste femme accréditée en Arabie Saoudite. Autrice de livres et de documentaires dont « Révolution sous le voile », elle a voulu « donner la parole à des femmes qu’on n’entend pas et qui se battaient pour leurs droits, souvent à leurs risques et périls.»
Aux côtés d’Emmanuelle Durand-Rodriguez et Olivier Roirand, président du Club de la Presse Occitanie, Nadia Bakiri, conseillère régionale déléguée à l’égalité et à la lutte contre les violences, a annoncé la signature de « la convention régionale pour l’Égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif en Occitanie. »
Catherine Dematteis, Olivier Roirand, Vincent Laurent, et Emmanuelle Durand-Rodriguez ont évoqué les valeurs du Club de la Presse Occitanie et ses engagements pour l’égalité femmes hommes et pour la lutte contre la désinformation via l’action Esprit Critik.
Le mémo des coulisses
- L’équipe organisatrice : Catherine Dematteis, Emmanuelle Durand-Rodriguez, Anne Kassubeck, Agnès Maurin, Valeria Medina, Valérie Maria, Valérie Ravinet, Olivier Roirand
- Merci à : Sophie Arutunian, Camille Basile, Johanna Cincinatis, Marion Colonna, Emilie Delès, Yanna Durand, Catherine Epstein, Hélène Grimal, François Hammouche, Vincent Laurent, Carole Mainguy, Frédéric Maligne, Marina Merchetti, Jacques Ravinet, Clément Thiery et Meredith Vaissie.
- Le lieu : La Cité à Toulouse
- Crédits photos : ©Frédéric Maligne ©Jacques Ravinet
- L’animation : Emmanuelle Durand-Rodriguez et Valérie Ravinet
- Les livres : Librairie de la Renaissance, Roselyne Guterriez et son équipe
- Les partenaires : La Région Occitanie, La Cité, l’Inserm, la Casden, Veolia Eau.
- Une programmation qui s’inscrivait dans le cadre des actions “Les femmes scientifiques sortent de l’ombre” avec le Quai des savoirs à Toulouse, le CNRS Occitanie Ouest, les associations Femmes & Sciences et Maths en scène.