« C’est le plus dur métier du monde, mais c’est aussi le plus beau. Ce ne sera pas un long fleuve tranquille, mais ne lâchez rien : la France est le pays qui soutient sûrement le plus les entrepreneurs et particulièrement les femmes qui entreprennent ». C’est par ces mots, empreints d’optimisme et d’énergie, que Stéphanie Delestre, « serial entrepreneuse » et jurée de l’émission « Qui veut être mon associé ? » sur M6, a mis en orbite l’événement dont elle était la marraine.
Cette journée, « Qui veut être entrepreneure ? », a été pensée pour rendre visible l’action conjuguée de l’Etat et d’une multiplicité d’acteurs publics et associatifs au service des entrepreneures. Si Stéphanie Lavigne, directrice générale de TBS Education, a partagé son « rêve de ne plus parler d’entrepreneuriat féminin, mais d’entrepreneuriat tout court », les chiffres sont têtus : selon le dernier baromètre de la Direction générale des entreprises (DGE) paru le 8 mars 2024, seules 27% des femmes envisagent de se lancer dans l’entrepreneuriat, contre 38% d’hommes. « En Occitanie, 28,9% des projets entrepreneuriaux sont portés par des femmes », a précisé Nadia Bakiri, conseillère régionale déléguée à l’égalité et à la lutte contre les violences.
« Ces chiffres montrent combien il est essentiel d’œuvrer pour faire évoluer positivement les écarts qui persistent », a introduit Nicole Escassut, directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité auprès du Préfet d’Occitanie, à l’initiative de l’événement avec Fanny Mouratille, directrice régionale déléguée. « Je souhaite fédérer toutes les énergies afin que l’État soit en lien avec les réalités des femmes et fasse réseau avec toutes les compétences, les acteurs du monde économique et les partenaires. Il me semble important de rendre visibles les actions de l’État menées par les délégué-es aux droits des femmes et à l’égalité présents dans chaque département.» Le Préfet de la région Occitanie, préfet de la Haute-Garonne, Pierre-André Durand, d’insister sur la continuité entre égalité et émancipation économique : « Les sujets ne sont pas cloisonnés. Que l’on défende la liberté de disposer de son propre corps, la lutte contre les violences faites aux femmes, la promotion de l’entrepreneuriat auprès des femmes, c’est le même objectif que l’on poursuit : l’émancipation d’au moins la moitié de la population. C’est un enjeu de société. »
« La présence de tous les acteurs aujourd’hui montre l’engouement pour cette cause qu’est l’entrepreneuriat féminin, a ajouté Anne-Cécile Brigot-Abadie, directrice régionale de Bpifrance Occitanie. Je veux souligner la très bonne dynamique : l’an passé, 40% des projets de création, accompagnés par Bpifrance en Occitanie, étaient portés par des femmes. »
L’entrepreneuriat comme voie d’émancipation économique
Nicolas Goudy, organisateur de l’événement avec la Préfecture a rappelé le constat : « si l’entrepreneuriat demeure un formidable vecteur d’émancipation socio-économique, y avoir pleinement accès dépend encore trop souvent de son origine sociale, géographique ou de son genre.» D’où l’importance d’accompagner et de soutenir les projets de tous et toutes. Parmi les femmes invitées à témoigner, Kathlynn Pougeol, fondatrice et dirigeante d’ Upcyclothe. Créée à Toulouse et incubée à l’IOT Valley de Labège, l’entreprise met en place la première filière de sur-cyclage et propose aux marques de prêt-à-porter une solution permettant de valoriser les stocks dormants. Depuis 5 ans, 10 tonnes de textile ont vécu une nouvelle vie. « Pour moi, entreprendre c’est faire des choix, c’est choisir d’être proactive pour soi-même, pour sa vie, a témoigné la cheffe d’entreprise, âgée de 26 ans et accompagnée par l’association Les Déterminés. Entreprendre, c’est avoir la volonté et la détermination de vouloir changer les usages, et de tout donner pour y parvenir. »
De son côté, Petra Brotnei, née en Roumanie, voulait « prouver » à sa fille « qu’on pouvait réussir en partant de rien ». A la tête de Rectif46, une entreprise de mécanique industrielle de haute-précision, elle dirige une équipe de 8 salariés. Lauréate régionale du concours « 101 femmes entrepreneures » et reçue par le Premier ministre le 8 mars dernier, Petra Brotnei évolue dans un univers exclusivement masculin. Lors de son témoignage, elle a livré un message d’optimisme : « En France, nous sommes accompagnées, écoutées et entendues : alors allez-y, ne doutez pas. Directeur de l’Adie Occitanie, association solidaire qui accompagne l’entrepreneuriat dans les territoires, Christophe Nicaud l’affirme : « Pour certaines, avant d’entreprendre, il est nécessaire d’acheter une voiture par exemple. C’est leur besoin pour sécuriser leur équilibre de vie avant d’oser entreprendre et c’est notre rôle de les aider à financer ce qui leur permet de se lancer. »
De la puissance des rôles modèles
« L’entreprise n’est pas féminine ou masculine, il n’existe pas d’entrepreneuriat féminin, a versé au débat Elisabeth Kimmerlin, présidente de l’association Les Premières Occitanie. Pourtant, nous avons encore besoin d’aider les femmes à franchir l’étape de l’entrepreneuriat ; nous croyons que cela peut intervenir dans une forme de sororité et que les freins peuvent être levés ensemble. »
Une phrase qui résonne avec le mantra d’Yvonne-Edmond Foinant, fondatrice en 1945 de l’association Femmes Cheffes d’Entreprise (FCE), citée par la présidente gardoise du mouvement, Lise Jannin : « Seules nous sommes invisibles, ensemble nous sommes invincibles ».
Et Stéphanie Delestre, fondatrice de Volubile et de la société Qapa qu’elle a revendue au leader mondial de l’Intérim Adecco, de rebondir : « Moi, je n’ai jamais été aidée par d’autres femmes dans mon parcours… jusqu’à ce que je comprenne qu’en fait, il n’y avait pas de femmes dans les sphères que je fréquentais (…) Depuis 10 ans, nous sommes plus nombreuses à nous lancer, mais aussi à partager nos expériences et à nous entraider ». Sur ce point, elle est rejointe par Sophie Berdoues-Coudouy, présidente du groupe toulousain Berdoues : « Très tôt, même s’il y avait peu de femmes autour de moi, j’ai compris l’importance d’être entourée et soutenue ».
En cela, « les rôles modèles sont primordiaux », affirme Elisabeth Kimmerlin avant de préciser : « Mais il ne faut pas se limiter à des réussites qui paraissent inaccessibles. Si l’on prend l’exemple de Claudie Haigneré, qui a été docteure, astronaute et ministre… Bon… Il est difficile de s’identifier à un tel parcours. Voilà pourquoi il est essentiel de donner différents jalons d’identification. » Cet avis est partagé par Véronique Chabiron-Bouchet, créatrice de l’antenne du Tarn du réseau Mampreneures : « On n’est pas des super-women. Si l’on est entrepreneuse, c’est simplement parce qu’il n’était pas question de choisir entre faire des enfants, avoir une vie privée épanouissante et créer notre activité.»
La clé pour entreprendre : être accompagnée
« Ne pas rester seule, être accompagnée, s’entourer d’expert-es et d’autres chef-fes d’entreprise » : telle est la clé du succès sur laquelle se sont à l’unanimité accordées les intervenantes, à commencer par Marie-Armelle Bories, vice-présidente de la CCI Toulouse Haute-Garonne et Florence Crozatier, responsable territoriale de BGE en Haute-Garonne. Et Lise Jannin, présidente de FCE Gard, de reprendre : « Selon les moments, nous avons besoin d’un réseau pour développer notre business, et à d’autres moments, nous avons simplement envie de partager nos difficultés, de nous entraider, de piocher de bonnes idées les unes chez les autres pour s’élever ensemble. » Formations, groupes d’entraide, coaching individuels et collectifs : les associations et organismes présents le 19 mars à TBS Education incarnent la diversité des accompagnements proposés aux entrepreneures, de l’échelle locale à l’échelle nationale.
Le nœud du financement
Au-delà de l’articulation des temps de vie, du manque de confiance en soi ou de soutien de l’entourage et souvent du sexisme, l’accès au financement apparaît comme l’un des principaux freins identifiés. Selon l’enquête “Les femmes et la création d’entreprise” publiée le 8 mars 2024 par Opinionway pour France Active et Fédération bancaire française, 48% des femmes déclarent que le premier frein à l’entrepreneuriat est la crainte de ne pas obtenir de financement. A raison, si l’on en croit l’Adie qui affirme qu’elles ont deux fois plus de risques de se voir refuser un prêt bancaire que les hommes.
Garantie bancaire, prêts d’honneur, prêts directs, micro-crédits, accompagnement au financement : les acteurs publics et associatifs sont nombreux à s’engager aux côtés des femmes pour balayer cette inégalité d’accès aux banques. « Nous avons par exemple développé la « garantie égalité femmes », qui agit comme un parapluie pour se porter caution sans engager les cautions personnelles de la cheffe d’entreprise, a expliqué Hélène Gauthier, coordinatrice du pôle Financement de France Active MPA Occitanie. Car on sait que quand les femmes se lancent, elles ont peur de mettre en danger l’équilibre familial, d’où l’intérêt de développer des accompagnements spécifiques pour les femmes. »
Même démarche du côté de l’Adie Occitanie, qui a développé un outil à distance baptisé « C’est moi la boss ». « En moins d’une semaine, la porteuse de projet peut simuler une organisation temporelle avec ses différentes priorités, professionnelles comme personnelles », a détaillé Christophe Nicaud, directeur de Adie Occitanie.
Le Réseau Initiative porte quant à lui une initiative intitulée « Vis ma vie d’entrepreneuse », qui permet à des cheffes d’entreprise d’inviter des porteuses de projet dans leur quotidien pour « voir de près si l’on se sent prête », a témoigné Gaëlle Emanuelli, déléguée régionale du Réseau Initiative Occitanie.
Agissant pour balayer les freins qui persistent, ces différents acteurs agissent comme autant de ressources sur le chemin entrepreneurial des femmes, des balises amenées à rassurer, accompagner, propulser. Et Elisabeth Kimmerlin de conclure : « S’il est une vertu cardinale de l’entrepreneur, homme ou femme, c’est bien l’optimisme. Entreprendre, ce n’est pas un sprint, c’est un trekking : ça monte, ça descend, parfois l’horizon est dégagé, parfois on est au fond de la vallée sans savoir où aller. Tant qu’il y a de l’optimisme et de la détermination au plus profond de soi, alors il y aura la force de persévérer. »
Les lauréates du Challenge « Qui veut être entrepreneure ? »
Deux lauréates ont été distinguées pour cette première édition du challenge « Qui veut être entrepreneure ? » : Anaëlle Roberge, pour le prix Jeune Pousse, et Romina Barrera, pour le prix Impact. Toutes deux se sont vues remettre un chèque de 4500€, un accompagnement dispensé par les partenaires de la journée ainsi qu’une mise en lumière dans le prochain Annuaire des Expertes du Club de la presse Occitanie.
Prix Jeune Pousse : Anaëlle Roberge, pour Le Bercail dans le Tarn.
C’est à mi-chemin entre Albi et Castres qu’Anaëlle Roberge a installé son projet de tiers-lieu rural, le Bercail, dans une ancienne caserne de gendarmerie qui accueille aujourd’hui un café, un restaurant, des solutions d’hébergement, une association d’animation du territoire, ainsi qu’un espace dédié aux professionnel-les de santé. Le lieu ouvrira au public le 12 avril prochain. « Convaincue que l’entrepreneuriat est une aventure collective », c’est avec la cheffe-cuisinière du projet, Elisa Carotte, et beaucoup d’émotion, qu’Anaëlle Roberge a reçu son prix.
PRIX IMPACT : Romina Barrera, pour Renouveau Circulaire, dans l’Aveyron.
Elle se définit comme « un taureau », qui « fonce tête baissée ». Mais malgré les coups durs et les embuches, Romina Barrera a livré un discours plein d’optimisme : « Mesdames, rappelez-vous que vous êtes des pionnières et des innovatrices. Continuez à repousser les limites, le monde a besoin de votre ambition et de votre leadership ». Arrivée en France il y a 20 ans, depuis son Argentine natale, Romina Barrera a connu une première carrière dans le BTP avant de lancer son entreprise, Renouveau Circulaire, dans l’Aveyron. Il s’agit d’une solution de réemploi en boucle fermée des menuiseries en fin de vie à destination des entreprises du BTP. « On m’a dit que mon projet était idéaliste et utopiste ; il y a parfois des jours de découragement, a-t-elle témoigné. Mais c’est justement dans ces moments-là qu’il faut tenir bon pour transformer les freins en tremplin. J’ai commencé avec peu de ressources mais beaucoup d’ambition et je suis très reconnaissante aujourd’hui que nous puissions montrer, ensemble, l’impact significatif que les femmes peuvent avoir dans notre société. »
Lola Cros
La soirée « Qui veut être entrepreneure ? L’entrepreneuriat pour toutes en Occitanie » était organisée à TBS Education par la préfecture de Région Occitanie. La soirée et les interviews étaient menées par Emmanuelle Durand-Rodriguez (Telmi Studio) et Nicolas Goudy (Purpose).
Crédit de toutes les photos : ©Agence YE